Édito n°1 - Perdez-vous

Ceux qui nous ont connus et soutenus avant tous les autres penseront bien haut que ce numéro 1 est un numéro 2 puisqu’il vient après le cultissime Berlin en berline, publié au printemps 2023. Nous remercions leur purisme mais remarquons que c’est oublier tous les numéros 0 qui ne sont pas sortis. L’aventure d’Invendable aurait pu commencer à Belfast, à la mort de Sa Majesté la reine Elizabeth II, lorsque deux d’entre nous erraient dans la capitale nord-irlandaise.

De chaque côté du mur qui scinde la ville, nous avions rapporté la matière d’un formidable reportage sur les fractures monarcho- républicaines. Un jeune catholique trinquait pour la première fois au pub protestant The Crown, des gars pas possibles racontaient comment ils avaient ingué leurs voisins, les portraits de la Queen disparaissaient puis revenaient aux virages des rues rivales. Ce reportage n’a jamais vu le jour, faute de préposés aux e-mails dans les rédactions.

Invendable venait peut-être de plus loin, d’autres histoires snobées ou parues sous des formes qui échouent en partie à traduire notre expérience sensible du monde. Arrimés à notre idée de pirates, nous transformerons désormais les occasions manquées en publiant nos chutes de reportages sous forme de carnets de voyage, avec de longs récits incarnés, jungles de la nuance refusant d’être taillées. Il paraît que les lecteurs n’aiment pas lire, n’ont pas le temps, s’en foutent. Nous faisons le pari de l’enthousiasme et de l’exigence à prix cassé. L’idée est de séduire sans intimider. Ça nous semble toujours mieux que l’inverse. Quelque chose nous dit que, oui, l’aventure, ça pourrait marcher.

Nous serons bientôt une publication digitale, multisupport, interactive, tout ce qu’il vous plaira, avec des vidéos, des podcasts, des cartes. En attendant, nous traçons notre petit chemin buissonnier de magazine papier, avec un seul et tumultueux récit accompagné de beaucoup de photos, qui se vend sous le manteau à un prix déraisonnable. C’est ce que nous martèlent ceux qui nous conseillent d’imprimer en Pologne, au Sri Lanka, à Wallis et Futuna, de nous aligner sur la hausse du prix du papier ou d’on ne sait pas trop quoi.

On persiste et signe à collaborer avec la belle imprimerie d’Hervé qu’on aime bien et à maintenir le prix du numéro 0. C’est un geste politique, un coup de com’, un suicide commercial. C’est surtout qu’on a une éthique et qu’on se casse nous-mêmes le crâne sur des kebabs à 7, 8, 9 euros alors qu’un kebab, c’est 5 euros, voilà, il n’y a pas de débat à avoir sur “chou rouge, pas chou rouge”. Sans parler du prix des cafés, des journaux, du Comté. Cessons de nous assassiner.

Nos justes salaires étant bien au-dessus des prix du marché, nous sabordons le marché tout entier, impayables, et nous abandonnons, pour un instant, l’idée d’être rétribués à hauteur de nos efforts. Plus loups que chiens, nous nous enfonçons dans la bohème et nous incitons tous les grands reporters inconnus à nous rejoindre dans cette galère. Nous invitons également tous les talents charitables qui voudraient nous en sortir, tous les milliardaires avec un coup dans le nez, convaincus - visionnaires - que c’est en nous qu’il faudrait investir.

Nous avons un programme de trimestriel pour un an. Il vous fera voyager de l’Amérique profonde jusqu’à la Russie profonde en passant par la Tunisie et la France, profondes toujours ; nous ruisselons de profondeur. La formule est simple : vous transportez nos aventures dans la poche, l’air de rien, comme si ce n’était pas un travail remarquable mais un vulgaire bout de chiffon.

Vous feuilletez Invendable et vous nous emboîtez le pas, de soirées queer en messes racistes, de pêche au let dans la Méditerranée en shots de vodka avec les Wagner. Vous vous baladez et vous écoutez parler tout le monde, nous compris parce que, merde, on a de bonnes histoires. Et puis, vous faites la publicité autour de vous, vous faites passer le magazine de main en main, vous dites que c’est vraiment génial ou bien vous le mettez au feu parce que ça brûle bien.

L’an prochain, d’autres gribouilleront dans Invendable (c’est un appel aux contributions, camarades). D’ici là, lisez-nous, écrivez- nous, suivez-nous, rejoignez-nous, achetez l’Invendable.  

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Édito n°0 - Crash texte