Édito n°4 – Oh Marseille

Invendable n'a qu'une parole. Les membres de son comité de rédaction se dénombrant sur les doigts d'une main à laquelle il en manque certains, nous vous promettions depuis nos débuts de faire entrer du sang neuf, d'ouvrir nos pages pirates à d'autres plumes filoues venues de l'extérieur. On s'amusait bien, nous, disons les choses, mais après trois numéros et demi à s'épancher bénévolement sur nos crapahutages, nous rêvions de vous faire parcourir le monde par d'autres yeux, des yeux qui seraient payés pour ça, tiens, carrément, des yeux qui auraient vu d'autres choses, des yeux de femme aussi, ça serait pas du luxe. 

Alors voilà, chose promise, chose due, vous plongez ici dans les yeux de Clara Martot Bacry et ceux d'Anis Amamou, à Marseille, eh oui, c'est-y pas ça une idée qu'elle est jolie ? Les gens ils croivent trop Invendable c'est Voyage en terre inconnue mais pas du tout. Invendable est une revue de très grands reportages racontés en texte et en image sous la forme de récits de voyage. Bravo, quel sens de la synthèse. Merci. Et c'est qui qui l'a dit que le voyage c'est toujours au bout de kilomètres d'asphalte ou de kérozène, alors que ça pollue ? La philosophie de comptoir élémentaire n'enseigne-t-elle pas que l'aventure est au coin de la rue ? Bienvenue à Marseille, ne nous remerciez pas.

Si nous avions écouté notre sens publicitaire casse-gueule, ce numéro, le premier de la saison 2, aurait pu s'appeler "Ici c'est Panisse" et tourner au fiasco. Des sources bien informées ont suggéré aux vulgaires parisiens qui dirigent cette publication du haut de leur mépris, que c'est le genre de titre qui provoque l'émoi des Marseillais et on est très attentifs aux Marseillais, tellement qu'on ne l'a pas gardé, le titre, on veut pas choquer dégun. Dans la même vague d'inspiration hasadeuse autour du mot panisse, qui nous plait, l'obscure "Panisse latino" du pourtant lumineux Paul Mesnager a lui-même été envisagé l'espace d'un instant. La référence aux 80's risquait pourtant d'être d'autant plus mal comprise qu'il n'y avait rien de précis à saisir. Passons sur le "couches de zone", jeu de mots lourd et pataud – on l’a gardé, oups – dans son extrême finesse, et profitons encore de cet édito pour faire le deuil collectivement de l'exquis "Aux chiottes l'arbitre" qui n'avait rien à voir mais plaisait beaucoup à l'un d'entre nous, beaucoup moins à tous les autres, et vous ne saurez rien de plus, aucun détail croustillant sur les crispations que ces discussions de fond suscitent en interne, on ne lave pas notre linge sale en public, gardez pour vous, fanatiques vicieux, vos curiosités malsaines. 

"Mirage sud" donc, il semblerait que l'étude de marché très scientifique et coûteuse soit formelle. Le sens est limpide, on comprend sans l'expliquer – oh, diablerie de stratagème dialectique – que ce sont les couches gazeuses de cette ville fantasmatique que nous vous proposons de sonder, les frontières invisibles du vécu, les Marseille qui se fréquentent sans se pénétrer, dont on parle peu ou pas comme ça, qu'on regarde peu ou qui se cachent, toutes ces Marseille qui forment Marseille et qu'on ne voit pas dans le JT de notre papesse à toutes et tous, l'immense et puissante Léa Salamé. 

Marseille, c'est l'une des villes que nous avions snobées dans "Merde in France". Il fallait réparer le tort causé à cette ville à la mode, où ceux qui débarquent n'ont rien compris, alors, en bons chasseurs de tête, requins des affaires que nous sommes, on est allés débaucher in situ la formidable Clara Martot Bacry de Marsactu pour en parler. Avec des arguments comme ceux d'Invendable, une négo pareille, c'est le temps d'une grenadine/pizza. Elle était enthousiaste direct, Clara, à l'idée de faire "un Invendable". Nous, on ne cachait pas qu'on était encore plus contents qu'elle. On n'est pas des bêtes comme dit le camarade Mesnager. Alors voilà, ça s'est fait naturellement quoi, à l'ancienne, de terrasses de bar en terrasses de café. Clara nous a proposé un partenariat avec Marsactu, l'excellent média d'investigation local qui l'emploie, et un miracle en provoquant un autre, Clara a aussi proposé au renversant Anis Amamou de réaliser un chapitre entier sur son quartier de Félix Pyat, qui l'a vu grandir, où qu'il connaît Taher de Ta’Hair Coiffure, Raïna la boxeuse, les footeux du terrain gris et tutti quanti, ce quartier qu'il aime et il faut aimer pour photographier. Nous, on ne le connaissait pas Anis, on ne savait pas qu'il faisait des photos sublimes. On avait juste envie que Clara kiffe son magazine et tout nous allait, parce qu'on est pour l'épanouissement, l'expression libre, la paix dans le monde. Son association avec un Marseillais pur jus, pas pressetitué comme nous autres, juste témoin de son quartier, c'est un bonbon de sharbat dans ce monde de parachutés du coeur.

Maintenant, ne croyez pas que nous voulions surfer sur une mode ou quoi, ni que nous ayons besoin de nous justifier. Si on se penche sur Marseille, c'est parce que nous pressentons qu'au-delà des clichés, fantasmes et blablas convenus, il y a un rapport au monde, et donc à cette ville-mondes, à normaliser. Ceux qui prendraient le tour de ville à pied pour un Guide du routard ou de l'immobilier peuvent nous désacheter illico. Ce qu'on cherche, comme d'hab, c'est que les gens qui apparaissent dans le magazine se reconnaissent, se disent beh ouais, c'est moi, hehe, coucou, et que les autres, tous les autres qui sont pas dedans, de Marseille ou d'ailleurs, se disent ah tiens, il est là, lui, elle pense ça, elle, et qu'on s'écoute, diantre, qu'on s'aime enfin les uns les autres, bordel de merde, comme il dit Didier Bourdon dans Jésus II le Retour. À Marseille, où qu'elle traîne, sans nanani-nananin, Clara pose à la ronde la seule question qui vaille au fond d'être posée : oh Marseille, ça dit quoi ? 

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Édito n°3 – Chers compatriotes